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par Régor-R. MOUGEOT, auteur de plusieurs livres, dont Contes qui coulent de source, Ed. EDIRU, 2006

Chez tous les peuples de la Terre, les Conteurs, les Griots, les Aèdes, les Bardes content, depuis l’aube des temps, les mythes et les légendes qui tissent le devenir des humains. Cette fonction ne peut être interrompue. C’est de l’essence des choses dont il s’agit…

D’où vient l’Inspiration qui fit dire si belles paroles à Abu el-Atahiyya, Jalal-ad-Din Rûmi, Farid-od din’ Attâr, Hadj Bektash, Hamadin, Sheikh Qalandar Shah, Sohravardî et tant d’autres Maîtres Soufis dont les contes reprennent la plupart des textes ? L’Inspiration, l’authentique, la véritable, elle vient de l’Innommé et nul ne voit comment elle se produit… Chacun sait, par l’intime de lui, qu’elle est véridique ! Cependant, ces Maîtres appartenaient tous à des lignées initiatiques, ils avaient été enseignés.

Le conte initiatique n’a de nouveau que la forme. Le plus souvent, c’est le conte qui le choisit le conteur Il s’immisce en lui, le taraude, se love dans sa mémoire. Lorsqu’il le lit, de la page écrite où il sommeille, il se réveille en se révélant ; une alchimie intérieure lui donne une nouvelle vie. D’abord il l’oblige à le mettre en œuvre, à assimiler sa substance essentielle, à l’intégrer dans la mémoire cellulaire qu’il nettoie pour y faire son temple.

Certains contes ne veulent pas rentrer dans sa mémoire ! Quelque peine qu’il se donne pour eux, ils ne pénètrent point alors que d’autres, à peine les a-t-il entendus une fois qu’ils sont comme chez eux depuis la nuit des temps ! Allez savoir pourquoi ! C’est ainsi.

Lors donc qu’un conte choisit d’être conter toute occasion lui est bonne : à chacune d’entre elles, il jaillit avec son énergie de création toujours neuve. Un simple mot entendu dans une conversation, une conférence, un exposé et, fort à propos, ce qui monte naturellement à ses lèvres, c’est un conte, au lieu d’arguments polémiques. Parle-t-on d’hérésie, d’inquisition, c’est alors « La huppe qui entre par hasard dans la demeure des hiboux » ou « Le caméléon et les chauves-souris » qui remontent de sa mémoire : il les doit à Sohravardî (1). Parle-t-on de la folie de l’amour ? Innombrables sont les légendes de Leïla et Majnun ! S’agit-il de Licorne, quelques passages magnifiques de la pièce La Dame à la Licorne et au Lion (2) dans laquelle il a joué jadis le rôle du vieillard, de Merlin, l’habitent encore. Là, c’est le conte qui se rappelle à lui : après l’avoir inspiré, il veut être expiré, être manifesté. Sur maints sujets, les contes zen, soufis, indiens ne manquent pas. Ils demandent d’eux-mêmes à « sortir ». C’est un appel d’air qui vient de l’extérieur, des âmes qui en font la demande, dont il perçoit, oserai-t-on dire, la soif. Il laisse simplement l’eau jaillir. Demandez à une source pourquoi elle coule ? Mais tout le monde n’a pas soif ! Sa source est permanente intérieurement, même si elle peut paraître intermittente apparemment dans l’extérieur, au gré des rencontres.

Qu’est-ce qui touche profondément les auditeurs et fait revivre leur cœur d’enfant ? Le costume joue son rôle, afghan, tibétain, soufi ou gitan, celte, c’est selon. Il évoque Samarkand, les Mille et une Nuits, Bagdad, l’Orient… et plonge les auditeurs dans un univers merveilleux qui les habite. Déjà il les emporte dans un ailleurs de beauté, de joie, d’amour et de simplicité. Pour une fête, les auditeurs sont invités à se costumer en Shéhérazade, en bédouin, en prince arabe, en danseuse orientale, en fou ou en mendiant, et cela crée encore une autre atmosphère. Parfois aussi, des musiciens accompagnent les contes d’une musique orientale ou médiévale.

Enfin, il a le bâton. Ah ! Ce bâton ! Torsadé, sculpté par la nature. Il a été trouvé tel quel dans la forêt. C’est le bâton du pèlerin torsadé par l’énergie de la vouivre, c’est celui de Nasrudhin venant de Samarkand, c’est celui du paysan, du berger qui nous habite, c’est la Corne de la Licorne torsadée par trois, c’est… Il enflamme l’imaginaire ! Il prend toute la place, c’est lui qui conte et le conteur s’efface à son service.

Plus encore que tout cela, les contes, porteurs de mystère et de merveilleux, sont de grands inspirés ! Ils véhiculent depuis des siècles des réflexions de bon sens, de sagesse, d’humour qui ouvrent l’imagination sur cette vie dont on rêve au-delà des grisailles d’une existence qui ne nous grise plus, mais nous aigrit ! Ils vont à l’encontre des dogmes, des idées reçues, des préjugés, des simplismes. Tous les Soufis ont préféré cette forme d’expression privilégiée aux discours, aux sermons, aux exposés, aux conférences dont nous sommes repus et qui nourrissent surtout le mental, laissant dans l’indigence et dans la faim l’âme, le corps et l’esprit. Il est possible de dire aussi que l’Inspiration naît du Silence (3) … Le petit enfant intérieur, celui que nous sommes en vérité, retrouve alors ses grands yeux émerveillés.

Le conte traditionnel est terre-à-terre ; ramène l’homme dans ses racines, le fait rêver et le propulse à un niveau qui donne un sens à ses interrogations, ou plutôt une multitude de sens entre lesquels il lui est loisible de choisir en toute liberté. Il suggère seulement.

Beaucoup de personnes sont habitées par le désir de conter. L’important est d’oser. Ses premiers balbutiements ont été difficiles tant les peurs étaient nombreuses en lui.

Grâces soient rendues à tous les Maîtres Soufis qui prêtent si justes et si vivantes paroles que les conteurs répètent après eux ! Les contes le montrent, repris par les plus véridiques, « nul ne peut s’accoucher tout seul », aujourd’hui comme hier ! Chacun le sait : « Lorsque l’élève est prêt, le Maître vient » ; la suite est moins connue : « et le Maître, depuis longtemps, connaissait le disciple». Nul pourtant ne peut faire le chemin à notre place, franchir les obstacles, triompher des épreuves ! C’est une autre histoire…

Cependant, cela n’arrive sans une longue gestation. Il faut y être longuement préparé, y être conduit « de main de Maître » par qui est capable de vous donner confiance dans les possibilités qui vous habitent… Comme dans les contes, nous pouvons dire qu’avant que l’inspiration ne « coule », il faut se faire « déboucher » ! Il faut un profond travail sur soi-même pour se désengluer des croyances de toutes sortes. L’inspiration vient ensuite au gré de la Vouivre du lieu, selon les nécessités du moment, et quelque chose s’émet, sans qu’il y ait rien à faire et même, sans qu’on en ait « rien à faire ! »

Le répertoire s’enrichit au fil des années ; c’est une grande joie de jongler avec les contes, de pouvoir faire « le conte dans le conte dans le conte », à l’image des poupées gigognes russes, en s’émerveillant des surprises ménagées aux auditeurs. Le conteur est porté par la qualité de l’écoute et, sans qu’ils le sachent, ce sont les spectateurs qui inspirent le choix des contes. Les conteurs kabyles qui sont plus qu’habiles dans cet art de conter terminent toujours en disant : « Mon Conte a coulé comme un ruisseau, car j’ai conté à des Seigneurs. » Mais il ne leur est pas interdit de dire, lorsque l’auditoire a été quelque peu instable : « Mon conte coule comme un ruisseau lorsque je conte à des seigneurs » !

Ceux qui aident sur ce chemin sont ceux qui font parfois de rudes critiques ! Lorsqu’elles sont justes et méritées ! « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », dit le proverbe.

Il n’est pas nécessaire d’apprendre à conter au sens convenu du mot. Simplement, se laisser prendre par une Tradition réanimée en soi par le conte lui-même ; cela est au-delà de toute technique, même si les techniques sont importantes au départ : il faut travailler sa voix, apprendre la portée du silence, du sous-entendu, du rythme des phrases, de la mélodie des mots, des gestes…, mais ce n’est pas là l’essentiel ! Chaque fois, dans le conte, il faut ménager la fin qui doit surprendre, prévoir une chute drôle, inattendue, enrichissante, un rebondissement qui n’a pu être prévu. Sans se prendre pour un conteur ! Tel est le grand paradoxe : fait-on preuve de trop de volonté pour se mettre dans une technique, et … l’inspiration puisée à la Source se tarit. Le moi individuel vient obstruer le canal plus ou moins partiellement. Il faut de nouveau déboucher la cheminée, pour cheminer en conscience, « sans attachement aux fruits de l’action » comme l’enseigne Krishna à Arjuna dans la Bhagavad Gîta. Le rappel se fait toujours des Vérités Eternelles.

De fait, la Vie véritable se vit et transforme l’existence en un Conte de Fées, et même comme il va être montré, en contes de « faits » !

Robert-Régor Mougeot

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Les Contes ne sont seulement pour les enfants ! Loin de là !

Porteurs de mystère et de merveilleux, les contes sont de grands inspirés ! Ils véhiculent depuis des siècles des réflexions de bon sens, de sagesse, d’humour qui ouvrent l’imagination sur cette vie dont on rêve au-delà des grisailles d’une existence qui ne nous grise plus, mais nous aigrit !

Ils vont à l’encontre des dogmes, des idées reçues, des préjugés, des simplismes. Tous les Sages ont préféré cette forme d’expression privilégiée aux discours, aux sermons, aux exposés, aux conférences dont nous sommes repus et qui nourrissent surtout le mental, laissant dans l’indigence et dans la faim l’âme, le corps et l’esprit. Le petit enfant intérieur, celui que nous sommes en vérité, retrouve alors ses grands yeux émerveillés.

Le conte traditionnel est un moyen pour se connaître ; il ramène l’homme dans ses racines, le fait rêver aussi, et le propulse à un niveau qui donne un sens à ses interrogations, ou plutôt une multitude de sens entre lesquels il nous est loisible de choisir en toute liberté.

Alors goûtez ! Savourez…

Quelques réflexions du Conteur peuvent permettre de pénétrer l’essence de certains Contes, voire leur quintessence…

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Notes :
(1) D’après la traduction de L’Archange Empourpré de Henry Corbin.
(2) Texte d’Emmanuel-Yves Monin.
(3) Dans le Silence tu es Toi : t’es-toi, tais-toi, enseigne l’euphonie, le chant de la Langue des Oiseaux.

Site internet de l´auteur : http://regorm.free.fr